samedi 16 mars 2013

Last raw memories

C'est reparti pour un article, parce que ça fait longtemps, et que j'ai quelques trucs à raconter.

Vous vous rappelez de la soirée oufissime dont je parlais dans mon dernier article ? Ben elles sont pas toutes comme ça. Le staff de l'auberge nous a filés des pass VIP pour une boîte du coin, et c'était assez moisi. La boîte, appelée Butter's Factory, pourrait bien tirer son nom des problèmes d'acné de sa clientèle. On n'y entend que du hip-hop bon marché, et toutes les 60 secondes une chanson différente. Bref, c'était nul. Un peu au même moment, j'ai commencé à avoir le blues de l'auberge, à force de parler qu'à des vacanciers. Le problème de ce genre de rencontres, c'est que les discussions restent très superficielles, du genre "Tu viens d'où, tu fais quoi, t'es là pour combien de temps" et ce genre de choses. Si les discussions non-intello sont un domaine où je suis content de m'améliorer, il y a eu un moment où j'en ai eu un peu ras le bol - mais ça s'est arrangé.

Dans le registre trucs dingues, vous connaissez peut-être Chuck Pahlaniuk. Outre le très admiré Fight Club, cet écrivain a publié un recueil de nouvelles assez intéressantes nommé "Le Festival de la Couille" ; et dans l'une d'entre elles, il relate une expérience originale. Frustrés d'être des hommes blancs normaux, jamais regardés de travers, lui et un ami se sont déguisés en animaux et sont allés se balader, sans jamais interagir avec ceux qu'ils croisaient. Dans le même genre, en un peu plus dilué, votre serviteur est allé courrir torse nu avec un sac à dos au milieu de la ville (et pas en pleine nuit comme la dernière fois), en grimpant et sautant chaque fois qu'une barrière lui bloquait le chemin. C'était assez sympa, à la fois de prendre de l'exercice et de faire un truc doux dingue ; les enfants gesticulaient pour attirer l'attention du Blanc complètement teubé, les adultes détournaient le regard et allongeaient leurs pas en priant pour ma disparition - et effectivement, elle ne tardait jamais. En plus, comme je me suis perdu, ça a été plus long et plus mouvementé que prévu ; je me suis fait saucer par un bon orage équatorial, j'ai surfé sur une pente de boue, je suis monté au dernier étage de plusieurs immeubles pour retrouver mon chemin, je suis rentré dans moult endroit plus ou moins interdits. Mention spéciale pour les toilettes d'un immeuble de bureaux où je suis rentré, totalement sans autorisation, pour monter au dernier et me repérer : là, il y a les "toilets" où tout le monde peut aller, y compris les cafards apparemment, et, verrouillées, les "Executive toilets" - comprenez les "toilettes des cadres". Ils ont le sens de la hiérarchie en Asie.

Un peu plus tard, le blues de l'auberge est devenu plus radieux ; j'ai commencé à devenir pote avec deux-trois étudiants/expats dans mon genre, qui sont là pour un peu plus longtemps et cherchent un appart, et du coup je suis sorti de la superficialité ambiante. Parmi mes nouveaux potes, un indien né aux USA (Sandeep), un autre élevé à Dubaï (Raunak), et une mexicaine ayant vécu aux USA aussi (Aya - retenez les noms). C'est assez sympa d'avoir de vraies discussions avec eux - et en plus, ça a tendance à recruter les autres clients de l'auberge.
L'une d'entre elles était assez drôle ; le mec de Dubaï, Raunak, était en train de vanter les mérites de sa ville et de dire, en gros, que l'Europe était juste une vieille marâtre fripée à qui le monde allait sucer son argent le plus vite possible avant de la jeter. Votre serviteur a évidemment vanté la philosophie, l'altruisme et la morale européennes, avec l'appui de Sandeep. Raunak, qui ne reconnaissait à l'Occident que le dynamisme économique des Etats-Unis, est évidemment resté assez indifférent. C'est là qu'Aya a surgi en gesticulant dans la discussion et défendu l'humanisme et ce genre de trucs de tapettes de Blancs dégénérés. J'ai appris plus tard qu'Aya a pris part aux campagnes d'Obama, à Chicago puis pour la présidence, pendant plus de 10 ans au total : un sacré personnage, globe-trotter humaniste - j'aurai probablement l'occasion d'en reparler.
Ce genre d'échange est bien sympa ; de ce point de vue, je suis content d'être venu à l'auberge, parce que même si Raunak est un peu vénal/terre-à-terre/capitaliste sauvage, c'est Gandhi multiplié par Kant comparé au Singapourien moyen. L'un des trucs qui m'ont le plus frappé, c'est à quel point les Occidentaux sont semblables, surtout les Européens. Ça commence à me sonner faux de penser à l'Europe comme à une mosaïque de pays différents, surtout en ce qui concerne notre génération ; pour le reste du monde, on est vraiment pareils, et en y regardant de plus près ils ont plutôt raison. Par exemple, on pense moins au fric que n'importe qui d'autre (parce qu'on est confortable de ce côté-là, peut-être) ; les Chinois d'ici, ou Raunak, c'est une idée fixe pour eux. On est apparemment aussi plus de gauche, plus intellos, plus en quête de bonheur ; et si j'utilise une suite de "plus", c'est que j'ai l'impression qu'un léger sentiment d'appartenance me chatouille les tempes. Comment ça se fait qu'il faut traverser deux continents pour que ça arrive, ça c'est une autre histoire.

Au boulot, ça a été trois semaines de glande assez monumentale : pour cause de fin d'année financière, aucune commande de réactifs ne pouvait être passée pendant un mois. Autant dire qu'à la question "Tu fais quoi au boulot", ma réponse a bien souvent été "Je fais surtout caca". Qu'un blague comme ça m'ait fait rire nous donne une idée d'à quel point je me suis emmerdé (...). Sans transition, au cours de mes heures de vadrouille, j'ai trouvé un cafard mort au milieu du couloir du dernier étage du GIS (mon institut ultramoderne). Donc maintenant c'est sûr, soit ils sont en train de séquencer le génome du cafard, soit je suis poursuivi par des légions de blattes infernales. À suivre. N'empêche, c'est sympa d'être en mode glandeur au boulot, parce qu'on a plus de facilités pour devenir pote avec les gens ; on est un peu la part de vacances dans leur journée. Du coup j'ai appris à mieux les connaître, on est allés à quelques soirées, en particulier l'une où au lieu d'être en mode "je-suis-sage-avec-mes-collègues" on a fini pompette dans la piscine à nager sous les étoiles et les gratte-ciels. Bien sympatoche. Tiens pendant cette soirée j'ai fumé mon premier huitième de clope sans tousser mes poumons sur mon voisin (bon ok, c'était une cigarette mentholée et je suis toujours une tapette). C'est un peu un problème dans mon cosmos personnel d'être non fumeur non pas à cause d'une forte volonté ou d'un manque d'esprit mouton, mais juste parce que je suis pas capable de tirer une taffe normalement. Mais bon, maintenant je peux au moins me dire que c'est grâce à ma volonté que je fume pas de cigarettes mentholées. On a fini par se consoler avec une chicha - et j'arrivais pas à faire des ronds. Décidément la fumette c'est mauvais pour ma promotion sociale. Toute cette fraternité collégiale ne m'a pas empêché de rater le grand déjeuner du GIS, au thème "rétro", qui apparemment était pas aussi nul que ce que les données le laissaient présager (déjeuner + pas d'alcool + collègues et chefs + thème battu et rebattu + organisé par des Singapouriens), ni de mettre les pieds dans le plat avec une Sporienne quand je lui ai dit pourquoi j'y allais pas (voir parenthèse précédente :D).

Je suis encore allé courir, à East Coast Park cette fois, un espèce de parc pour joggers avec douches, toilettes et installations mercantilo-visqueuses tous les kilomètres. L'idée était "Je vais aller courir à côté d'une plage, comme ça je vais pouvoir bronzer un peu, vu que je suis toujours blanc comme un cul". Malheureusement la piste était encombrée d'humains et de leur progéniture abjecte qui ne sait pas courir et n'a pas de chaussures de running, c'était assez horrible. Pour ne rien arranger, avec la chaleur et l'humidité, j'ai perdu trois litres de sueur en dix minutes, et commencé à avoir vraiment mal au crâne à cause de ça - ce qui a pas mal écourté la séance. Le sel dans mes yeux et la piste encombrée de gens ont malgré tout été largement rachetés par l'horizon encombré de bateaux et le sel de l'air marin ; l'un en rappelant à mes narines qu'elles étaient sur une île (c'est facile à oublier, ici), et l'autre en dépeignant encore un portrait captivant de cette ville saisissante, de son éternelle quête de richesses, de ses gros porteurs alignés comme des poubelles dans un centre de collecte, et de sa couronne d'avions qui approchent de l'aéroport en pétaradant leurs nuages étroniques. C'était assez sympa de se retrouver un peu seul, et de laisser mes pensées affluer et refluer au rythme des vraies vagues. Et pour finir, j'ai eu la joie de me baigner dans la mer de Chine. Malheureusement ici leurs chiottes sont plus propres que leurs plages, donc la baignade servait plus à pouvoir écrire la phrase précédente qu'à autre chose.

Manger chez l'indien

Appareil photo à 100e



Courir à nouveau, East Park cette fois, plages nulles, baigné dedans une fois quand même, bateaux sur l'horizon, vagues sur l'eau, vagues dans mon coeur, sel dans l'air, sel dans mes yeux, temps qui passent, voies changeantes du destin, seul dans la ville, seul avec ma force, seul avec ma peine, seul avec mes espoirs et mes impuissances

Soirée relou, le bar à putes bien dégueu, apprendre le fk à la morue philippine ; trop bizarre, la vitesse à laquelle ça s'emballe, la salle glauque au premier, et au final, tout juste marrant. Compassion. Au final, pas si drôle, à cause de la tension qu'elle mettait alors qu'elle n'avait aucune chance, du cadre bien tragique dans lequel la farce a pris place.

Melaka, bien cool, reposant, le bus aller, le bus retour et l'alcool à la douane, la mosquée qui file de l'eau, le mec qui perce des noix de coco du guiness des records, palabre 20min, 20'' show, vend des lotions miracles, le mister univers. Les maisons peranakan, la cuisine babanonya, la cuisine portugaise, trop ouf. Le chinatown.

Semaine pro-active, bujinkan vraiment super, basket trempé, Guide du Routard de Singapour et envie de cocher tous les monuments, pote avec les gens du boulot, pote avec les gens de l'auberge, aller à Chinatown avec eux.

Boulot : des résultats, mail débile de Paul, Xie Fei la caricature du Chinois immigrant à Spore, la bouffe gratos dans les séminaires, la bouffe bonne pour la santé pour compenser

Temple indien bordélique, enlever ses chaussures, sol sale, bouffe, foule énorme, figures colorées (kermesse sous acide), mecs torse nus, encens, lait (bon), grosses marmites avec gazinières, énorme tête à oreilles dragon, coin des femmes.

L'orage ensoleillé, la résistance à l'eau mais pas au dessert.

La réserve naturelle B Timah, le viol de singes - deux fois, la baston de singes, la falaise interdite magnifique (putain d'appareil photo)

Dans la famille je cours la nuit et je fais n'importe quoi, j'ai demandé l'autostop à 2h du mat, le macdo, les clochards partout, les bateaux lumineux sur l'horizon et le pont sur l'eau, les chauve-souris dans la ruelle, le trop radin pour taxi mais pas pour la bouffe, l'orage qui menace.

La musique porno dans les hauts parleurs, la dispute en chinois, le retour au travail, l'auberge, ses habitants et ses discussions (mention spéciale pour le tremblement de terre spirituel au starbucks, lors de la discussion avec les deux autres). Bu le milieu de culture.

KL, le bus depuis singap et l'histoire du visa, le voisin sympa, la balade la nuit, les clochards, les souterrains bizarres au croisement (et ailleurs), l'immeuble enveloppé de muslimanisme, l'affirmation d'une identité islamique, le palais du captain Nemo, la gare, les ordures et les chats, le nasi lemak au boeuf à 5h du mat avec le ptit stand, les mosquées, les attrape gogo du sentral market, la KL tower, les Petronas towers plus belles la nuit et de dos, le musée à la gloire des pères et du caoutchouc. Royaumes malais genre moyen-âge de chez nous mais avec islam à la place de christianisme, raise, flicker and shrink, grand centre du savoir - islamique. les Chinois qui niquent tout le monde avec leurs écoles. KL tower avec le français dément dans l'audioguide, le pantalon en lin réparé, le short délirant et le marché, le babou malais (mydin) pas moins cher que le babou de chez nous, le buffet malais. Putrajaya la cité des dictateurs, la mosquée rouge, ma dégaine antiislamique et l'autiste, les fourmis qui mordent, les murs qui lézardent, le manoir sur la rive, les ponts rutilants, le palais du parlement et ses domes en bronze, l'énormissime saucée, le taxi pour Cyberjaya, le taxi, KLCC, le buffet libanais, la samba au dernier étage du centre co, le grand huit dans le Times Square, le temple chinois, la discussion sur l'humanisme aux USA, le train de nuit.

Messages émouvants à la radio pour Dr Goh, 7 pages dans le journal, père de la nation, genre travaillez, produisez et baisez, bande de cons (enseignement religieux).

Ninjutsu avec le malade qui fait des oeufs dans tes bras. Resto spicy peranakan, les lumières, les immeubles high-tech, le bruit de l'eau et le jazz. Le resto thailandais (ThaiExpress) avec le crabe assez oufissime. La jap en boîte.

The crazy love letter found in the bus.
The emotion -> girl
In a dream we finally have time to break up, like the birds go away to pass winter, and after a while go back to their home. No matter how long the party is, the people get spread/dispersed at the end. It was different from her imagination. She can't even describe her loneliness and sadness with words. We are so far from each other, and how can my heart reach you. (to the guy) When you leave, take me with you. Let me be your button, and I will be with you forever. When you are tired, I will massage you to relax you ; when you get annoyed, I will talk to you and cheer you up ; when you are hungry, I will change to pearl rice for you (it is not that good, but at least you will feel full), at night I will cover ou with the blanket, and I will go sleep and help you dream till morning. I need nothing but you, when you leave, bring me along with my heart and with my soul.
"I don't know if the other person knows about that"

mercredi 10 mars 2010

"Hey Skerdi, long time no see !"

Bon, après les envolées lyriques en sortant du boulot à deux heures du mat, il a fallu rentrer pour se faire interner, ah ah (blagounette, en fait il était prévu que je rentre en France). Mais avant, il a fallu finir quelques trucs ici, en particulier se trouver un remplaçant pour la coloc, après avoir débarassé un peu le bordel qui jonchait l'appartment - ce dont je parlais dans l'article précédent.

Après quelques visites de gens pas trop motivés - mention spéciale pour le gros ricain en nage après 8 min de marche sous le soleil, qui me dit avoir marché pendant 20 minutes - j'ai donc bien fini par trouver mon remplaçant. Il s'agit d'un français, dont j'ai l'impression qu'il prend la chambre (il le promet dès la première visite) à moitié parce que je suis sympa, à moitié parce qu'il a la flemme d'en chercher un autre. En plus, bonheur, il me dit vouloir emménager le jour où je reprends l'avion pour la France

Comme vous vous en souvenez sans doute, mon appart n'était pas le plus propre de la galaxie. Mais le nouveau coloc ne l'a pas remarqué quand il a visité la première fois et donc il a un peu tiré la gueule en revenant s'installer ; c'est assez drôle de le voir râler (sacrés français !) pendant qu'on fait le ménage. D'un côté ça m'embête qu'il soit pas content, de l'autre il faut dire que je l'ai pas forcé à le prendre, cet appart. Du coup quelques instants plus tard on a un peu déconné avec Utkur, en en imaginant une succession de Français mécontents dans la même chambre jusqu'à la destruction du bâtiment (j'ai peut-être oublié de préciser que l'immeuble sera rasé fin juin).

Bref, juste après l'arrivée du nouveau, j'emballe mes trucs et je pars prendre l'avion Air France pour Paris (en mangeant du camembert et de la baguette et en buvant du pinard... ok j'exagère un peu). C'est une des premières fois de ma vie où je ne suis pas du tout stressé ou excité en prenant l'avion, ça me fait assez drôle, comme si j'avais fini/gagné un niveau dans mon espèce de jeu vidéo intérieur. En plus, bonus au score, je vais même aller me boire un petit cocktail dans le bar fashion de l'aéroport avant d'embarquer. Le dit bar, le Harry's, est d'ailleurs bien stylé ; une plateforme extérieure surélevée au dessus des pistes, collée au terminal, luxuriante de plantes et mouillée d'une lumière bleue spectrale, délicatement saupoudrée d'une petite musique design. Le dit cocktail est le Singapore Sling, probablement d'origine locale - quoique... je me méfie - et dont j'espère devenir un spécialiste une fois rentré en France.

Passons rapidement sur l'épisode français. Bien entendu, j'ai revu tout le monde (si toi qui lis ces lignes, je ne t'ai pas revu, sache bien que je t'en tiens pour responsable). Je suis allé une semaine à Marseille suivre des cours intéressants avec ma super promo de M2 (vive BSC !), et ai eu quelques états d'âme quand je me suis aperçu que l'éloignement... ben... m'a un peu éloigné, quoi. Mais bon, comme l'écrire le souligne si évidemment, c'est bien normal ; et d'un autre côté, je sens avec le sourire que mes relations sont comme des élastiques tendus ; pourvu qu'on ne les garde pas en position jusqu'à ce qu'ils prennent la poussière, il seront toujours capables de revenir en place (quelle belle métaphore hein ; on pourrait même pousser l'imagination jusqu'à préciser le type d'élastique... ah ah).

Une fois l'avion repris dans l'autre sens (mention spéciale pour cette saleté d'ordinateur de bord dont le volume s'était bloqué), je vais aller dormir à l'auberge de jeunesse quelques temps (personne ne sait vraiment combien). Autant dire tout de suite que jusqu'ici ça a été plutôt pas mal. Toujours des gens, toujours du bruit, des nouvelles têtes sans arrêt, des anglo-saxons qui parlent du vrai anglais, un nouveau quartier, de nouveau food courts encore moins chers, pas le temps de s'ennuyer (ni d'écrire sur le blog, d'ailleurs).

Je suis un peu en train d'éduquer mes collègues. Comme vous avez peut-être deviné, les gens ici sont assez disciplinés. Du coup, avant mon retour en France, j'avais fait une expérience pendant une semaine ; des biscuits au chocolat succulentissimes (au goût de Versaillais) trônaient sur une étagère à côté d'un papier qui disait "Stolen food has better taste". Bon, l'expérience a un peu fait comme mon blog, ça a fait rire les gens mais j'en ai rien su jusqu'à une semaine plus tard. Cette fois, j'ai refait la même pendant que j'étais en France ; même concept, mêmes gâteaux, inscription "Just do it.". Bilan mitigé : seule la moitié du paquet a fugué, et y'a quand même un gusse qui m'a remercié sur le même papier. Mais bon, globalement ils apprennent un peu l'anarchie, ces ptis rigolos. Affaire à suivre.

Au boulot c'est calme le temps de faire croître mes cellules, donc je m'emmerde quelque peu. Mon boss est toujours aussi indifférent, du coup moi aussi je me concentre un peu moins sur le boulot. J'y suis un peu aidé par le décalage horaire qui me massacre comme jamais ; je dors à n'en plus finir pendant 4-5 jours. Faut dire aussi que j'arrange rien en allant me la coller avec des gens de l'auberge ; c'est là que je rencontre d'ailleurs, entre autres, les deux premiers vrais américains de ma vie, deux militaires bodybuildés bien marrants, ultramegaextravertis (un peu gogoles des fois même mais c'est ça qu'est bon), qui parlent vrai anglais comme dans les séries, font des high fives quand ils sortent une bonne vanne, bref la totale. C'était bien sympa. Dans la même veine, je suis allé à la soirée la plus ouf de ma vie, au Movena Club à St-James Powerstation (ça c'est pour mes archives) ; c'est le staff de l'auberge qui nous a motivés pour y aller, on était une quinzaine, avec des australiens, un allemand, les nanas du staff, et c'était énorme ; c'était énorme parce qu'on se connaissait très peu, et du coup tout le monde était sympa, de cette sorte spéciale de sympa qui te laisse être qui tu veux, sans te cantonner à ton propre rôle ou à ta tournure d'esprit habituelle. C'était immense parce qu'en plus de pas trop se connaître, la plupart d'entre nous étaient des voyageurs sans lendemain ; du coup, carte blanche pour se lâcher, et tout le monde t'encourage avec ça. C'était gigantesque parce que je me suis collé quasi gratos (4€) 10 verres en 4-5 heures (je devais aller bosser le lendemain) : on a gagné une espèce de loterie avec 100$ de gnôle à la clé, pas une mais deux fois (sur deux), et en plus la patronne de l'auberge était là et nous a payé des tournées à base de bouteille de vodka. Inutile de parler du groupe latino qui faisait la musique mieux que n'importe quel DJ, du show de pole dance, des bombes avec qui on dansait ou de quoi que ce soit dans le genre, ça serait en faire trop. Le seul souci ça a été d'aller bosser le lendemain. Quoi qu'il en soit, je me souviendrai de cette soirée comme de l'étalon-or de ses semblables. Et même si j'oublie, je m'en rappellerai en lisant ceci. (Salut, Skerdi du futur, comment ça va ? C'était bien ici hein ? Je suis sûr que t'as trouvé d'autres trucs encore mieux, mais souviens-toi en plus des instants et des joies d'ici et d'en ce moment, ils valent le coup. Sinon j'espère que t'es toujours aussi monumental - mais c'est juste pour mettre un peu de suspense, je sais déjà que c'est le cas)

À part ça, en vrac : le lendemain de ma descente d'avion je suis retourné près de mon ancien chez moi, ai dit bonjour à Sam et Cherifa, les tenants du stand indonésien où je mangeais souvent, et j'ai récupéré le facebook de leur fille - j'ai pris ça pour un accueil chaleureux de la part de Singapour (le titre de l'article est tiré de l'exclamation de Sam). Passons rapidement sur internet qui me casse les miquettes (décidément, la technologie m'aime pas).

À l'auberge, autre point positif, je me suis remis à la philo, et j'ai bien fait ; j'ai enfin fini l'Éthique de Spinoza que j'avais commencé en fin de P2 (ouais, je l'avais un peu oublié, j'ai honte - faut dire aussi que je l'avais pas acheté mais emprunté, et que j'ai été un peu occupé... quoi qu'il en soit, Skerdi du passé, pas d'excuses, you suck). C'est ouf ce livre (notamment, et j'en suis pas peu fier, à quel point j'en étais proche intellectuellement, sans l'avoir lu), on dirait un manuel de ma propre conscience et de ma manière de fonctionner, écrit il y a 250 ans, avec en plus des indices pour m'améliorer. Dommage que j'aie pas d'autres bouquins de philo sous le coude, j'adore ça (faudrait que j'en cherche tiens) ; bref, ça fait du bien, car "C'est proprement vivre les yeux fermés, sans jamais tacher de les ouvrir, que de vivre sans philosophie." comme dit l'autre. Allez vous aussi, retrouvez votre Spinoza, votre Kant ou votre Hegel, et mettez-vous au travail. De la philo et des cuites en boîte, que d'autre demande le peuple ?

lundi 22 février 2010

"Suppress the crime, and you will suppress the style and personality"

Ça fait longtemps que j'ai pas branlé mon râtelier ici moi. Il faut dire qu'après les premières semaines c'est un peu moins racontable la vie. Bon, j'ai pris des notes, mais je me souviens pas forcément de tout.

Y'a eu l'épisode où je me suis trouvé un remplaçant pour mon appart, et où il a fallu que je range un bordel assez incroyable (l'un des anciens colocs avait laissé, au milieu du salon, depuis 2006, les documents de sa remise de diplôme, et son costume avec le super chapeau - que j'ai gardé), ce qui m'a valu notamment d'aller torse nu et ruisselant jusqu'au coin des encombrants pour jeter des trucs. Les gens me lançaient de drôles de regards. Du genre de ceux qui hurlent "GOGOOOOLE !!"

Y'a eu l'expérience au labo où je devais revenir toutes les six heures au labo, puis toutes les douze heures. C'est là que je suis devenu accro au Red Bull, qui coûte ici 40 cents la canette (c'est la formulation d'origine, thai, non brevetée). C'est aussi à cette occasion que j'ai eu quelques discussions philosophiques avec des chauffeurs de taxi. Les chauffeurs de taxi sont mes sources principales sur la vie à Singapour. Quand je dis les Singapouriens, comprenez les chauffeurs de taxi Singapouriens et leur famille proche. Et donc les Singapouriens (les chauff... bref, vous avez compris) sont en fait plutôt moyennement contents de leur gouvernement. Il assure la prospérité de la population en général, mais la vie ici est quand même assez sauvage - pas de sécurité sociale, de retraites et de ce genre de trucs de tapettes. Et même les Singapouriens de 4e génération (donc ceux qui sont là depuis le début) on toujours un accent Chinois brinquebalant - c'est fou !

Y'a eu aussi la fois où - oh mon Dieu - je me suis rasé la... wait for it... BARBE !! Eh oui, j'ai été imberbe quelques jours. J'avais l'air d'un gamin de 20 ans (euh...), et les gens le faisaient remarquer. Mais, tel Jésus fils de Dieu, après trois jours ma barbe s'est relevée, a traversé le rocher, irradié un linceul et fait apparaître sa tronche sur un toast, puis a à nouveau rassemblé ses disciples pour répandre l'Evangile. Tiens, je vais appeler ma barbe Jésus, pour le coup.

Y'a eu la fois où mes colocs sont allés aux putes, et où je me suis dégonflé au dernier moment (t'inquiète maman, c'est juste que cette fois j'avais pas de capotes... on remet ça la semaine prochaine). Celle où je suis allé à Geylang, le quartier pauvre, musulman et avec des putes (encore ?). C'était sympa, les maisons étaient plus anciennes et il y avait pas de HDBs tout laids comme partout ailleurs. Y'a eu aussi celle où j'ai offert un mug "Fruits" à mon coloc qui ne boit que de l'alcool, ne respire que des clopes et ne mange que du cholestérol. Et en retour, il m'a payé une bouteille de pinard. Au final, un cadeau bien pensé à 1e50 m'aura valu un cadeau mal pensé à 13e - comme quoi c'est utile de bien réfléchir à ce qu'on offre. (Et non Alex, personne n'a offert de pute à personne.)

Y'a eu en plus la fois où deux amies à moi, sont venues dormir à la maison (non, c'était pas des putes, arrêtez avec ça à la fin... c'était Anne-Laure et Camille, deux étudiantes en médecine de ma promo qui ont pris une année pour faire le tour du monde). J'ai visité la moitié de la ville avec elles, mais comme c'était pendant le nouvel an Chinois les rues sont un peu désertes. On a vu le zoo et renommé une ou deux espèces (le vieux punk miniature s'appelle le cotton-top tamarin). C'était cool et bien fait, mais on a raté mes amis les chimpanzés, que d'habitude je vais voir tout le temps, et maintenant ils répondent plus sur facebook. On est restés au zoo pour le night safari. Celui-là est une arnaque, sauf si tu viens avec ta bouteille de rouge et que tu vas te poser au bord du lac avec tes potes. Ensuite, après que tout le monde me l'ait conseillé, on est allés à Sentosa l'île touristique en carton pâte, sorte de Disneyland plus gamin et sans manèges, et c'était nul. Ils sont fous ces Chinois d'aimer ce truc. L'exploration a continué avec le musée de la ville. L'histoire de Singapour est assez rigolote : un jour du 19e siècle, un Anglais est devenu pote avec le roi de Malaisie, lui a demandé un bout de territoire, en a fait l'équivalent d'un paradis fiscal où se sont amenés tous les marchands, traine-savates, seconds couteaux, putes et pirates de la région, et petit à petit la Grande Bretagne a pris le contrôle de la région (une fois la ville bien dodue et pas mal de pognon en jeu). En même temps l'endroit a drainé des marchands de tous les horizons ; Arabes, Chinois, Malais, Européens. Et ainsi s'est formée cette ville qu'on n'en finit plus de visiter en ce début de 21e siècle, avec Chinatown quand y'a personne pour cause de nouvel an, puis re-Chinatown quand c'est blindé, Newton Circus (encore un conseil de merde, d'un français cette fois), le temple de la dent du bouddha, la grande mosquée, Arab street la rue avec des marchands de tapis (j'invente rien). Le gagnant des visites est le jardin chinois, très sympa et authentique, qu'évidemment personne ne m'a conseillé - peut-être ex aequo avec la balade sur le fleuve au pied des gratte-ciels.
La visite d'Anne-Laure et Camille a eu quelques points négatifs ; d'abord, elles sont en vacances et je m'y verrais bien, plutôt qu'à trimer au labo pour un patron gentil et incompétent. Ensuite, leur regard est venu se superposer au mien et le renforcer à un moment un peu particulier. Je commençais d'une part à en avoir un peu marre de la mentalité placide et vénale des gens d'ici, tout le temps à pas t'écouter ou à essayer de te niquer. D'autre part, Singapour elle-même s'était mise à perdre son fard et à ressembler à une vieille fille banale, fonctionnelle et sans personnalité - quelques petites enclaves exceptées - et les gens commençaient même à m'en parler dans son dos en termes peu flatteurs, comme ceux du titre de l'article - les p'tis saligauds. Enfin, et surtout, elles m'ont mis dans la position du nul qui reste sur le quai et dit au revoir avec la main, et c'était un peu agaçant, à des milliers de kilomètres de ma vie, d'être battu à ce jeu-là. Bah, j'aurai ma revanche une autre fois.

Y'a eu les fois où j'ai vu un mec épilé dans le métro, eu une visite d'Indiennes lesbiennes pour l'appart (enfin, deux "étudiantes en arts"... l'imagination fait aisément le dernier pas), mangé un ananas à 70 cents par jour pendant une semaine, vu un authentique afro noir, vu quelques jours plus tard la copie, un afro Chinois (ils nous plastifieront tous), vu des rats se battre en bas de mon labo, vu des cafards se balader sur les trottoirs dans un quartier près de chez moi.

Et y'a eu la fois où j'ai bossé treize heures d'affilée au labo (et où tout a marché), puis suis sorti à une heure du matin et ai fait le chemin à pied jusqu'à chez moi. L'expérience était assez mystique, entre mon propre esprit enivré par le défilement des heures de manipulations réussies, les indiens moustachus et enfumés assis sur des chaises en plastique qui regardent un match de foot, et surtout ces groupes de gens, un peu partout au pied des HDBs, qui brûlent des choses dans des feux au milieu de la nuit, qui volent le regard avec leurs braseros et qui crépitent les narines avec leur fumée piquante. Et moi, bizarre à mon tour, vif et torse nu au milieu de la nuit, qui pour une fois laisse tomber la civilisation et les détours, et, à petites foulées, escalade et traverse tout ce qui surgit entre moi et mon lit. Peut-être que les créations fantasques enchaînées au fond de mon crâne ont un peu abusé de ma fatigue exaltée pour venir danser devant mes pupilles grandes ouvertes ; mais, en particulier avec ces ombres colorées assemblées autour des feux nocturnes, si étrangères à l'efficacité proprette d'ici, il m'a semblé un instant ressentir, entre les immeubles droits et le bitume sinueux de la ville, bien tapie sous la surface lisse et liquoreuse comme une flaque d'huile, une vague folle de chimères gesticulantes, prête à crever la façade douceâtre et polie. Bah, même si ce n'était qu'un rêve éveillé, ça fait du bien des fois de sentir que même ici, mon imaginaire a toujours ce coin rempli à ras bord de boyaux sombres, de silhouettes visqueuses et de tentacules sanguinolents. Tout ce qu'on aime !

samedi 30 janvier 2010

"Fucking highways"

Bon allez, on y retourne avant qu'Internet se remette à pas marcher (en fait, internet est parti et revenu environ 15 fois pendant que je rédigeais cet article)

Allez, je reprends à la dentisterie. Dimanche, il y a deux semaines, je reviens les muscles saillants et ruisselants de sueur d'un aller-retour au Fairprice ; j'enlève mon t-shirt mouillé et moulant, secoue ma crinière rebelle (est-ce que vous avez pensé à mettre Barry White avant de lire l'article ?), entreprends de me désaltérer d'eau glacée, puis de manger un morceau de pain, et finis par perdre un morceau de dent dedans (comme disait Rimbaud ; le morceau qu'il mord, sot, garde le morceau de dent dedans). Bref, il faut vite que j'aille récupérer mon sourire, pour cela direction le Singapore National Dental Care Centre, comprenez une usine à dentistes où on vous parle d'argent d'abord et de travail fait correctement ensuite. Pour des raisons orthodontiques (oui oui, vous avez bien lu... j'avais parié avec mon orthondontiste que j'allais dire ces quatre mots un jour), mon cas est un peu compliqué, et je perds trois heures à la clinique le temps d'expliquer au type ce que mon orthodontiste, celui qui a perdu le pari, veut qu'il fasse, et le temps qu'il le fasse. Rien de bien surprenant dans cet épisode, si ce n'est un prisonnier, en uniforme de prisonnier, tête rasée de prisonnier, fers aux poignets et aux pieds de prisonnier, encadré par deux flics, qui sort d'un des boxes de soin et va aux toilettes. On pouvait presque sentir un panneau publicitaire "ceci est un délinquant, un mauvais exemple pour vous, citoyens/les enfants" se balader derrière les trois hommes.

La semaine suivante passe tranquillement ; le jeu est, chaque fois que je m'ennuie, de pointer un endroit sur la carte de Singapour et d'aller là-bas. Mais d'abord, je vais à Sentosa, le débarras à touristes qu'on m'a à plusieurs reprises conseillé. Mais comme je préfère l'entrée des artistes, j'y vais non pas par le monorail rose tout joli, mais à pied comme un galérien. Sentosa est une île, je prends donc un pont et ai enfin l'occasion d'apercevoir l'océan et l'horizon. Un peu plus loin, un nouveau chantier me bloque la vue. Drôle d'esprit ; on dirait qu'ici le bord de l'eau est juste une zone économiquement inutile ; "In Singapore all is about money" comme dit mon coloc. Je commence un peu à en avoir plein le dos des chantiers, autoroutes et détours sans fin. Singapour n'est pas terrible pour les balades à pied.

De l'autre côté du pont,, après avoir demandé mon chemin à un chef de chantier, celui-ci me dit "You're french ?". Mes sourcils froncés et moi, étonnés et grimaçants, on lui demande comment il nous a calculés aussi vite. Bim dans ma face : "It's the accent"... Normalement, je ne devrais pas avoir d'accent (l'albanais a les sons de l'anglais). En y repensant de plus près, je me rends compte qu'ici, mon accent est en train d'empirer. Comme les chinois ont un accent horrible (j'avais envie de coller ça sur le dos des chinois, mais ça marche avec tout le monde sauf les anglophones purs, et y'en a pas tant que ça ici), je ne peux pas prendre exemple sur eux ; mais comme on ne peut se comprendre qu'en anglais, il faut bien que je les dise d'une certaine façon, tous ces mots ; et j'ai tendance à lire les mots que j'entends rarement comme un français. D'où l'accent. Le problème va revenir quelques fois, mais je commence à faire attention. Bref, tout en ruminant ces pensées, je rentre dans Sentosa. Ne rentrons pas dans les détails ; casinos, boutiques occidentales de luxe, Hard Rock Café, gros videurs en costard un peu partout, le tout arrosé de sauce super bling-bling et frivole, c'est globalement un truc de touristes un peu dans le genre de ce que Dubaï m'a l'air d'être depuis le vol aller ; et ça ne ressemble pas vraiment à l'esprit d'ici. La partie la plus intéressante est celle où je rentre dans le chantier d'une atttraction, le musée des studios universal (quelque chose comme ça). C'est assez drôle de voir les décors colorés et tape à l'oeil, à la Disneyland, au milieu des bulldozers, des machines à souder, de la poussière et des ouvriers Indiens (la niche écologique "immigré bronzé et pauvre travaillant dans les chantiers" existe ici aussi...). Après ça, je me barre assez vite.

Après avoir un peu tapé la discute avec les proprios du stand indonésien où je mange souvent, je pointe mon doigt sur la station de métro de Lakeside, dans l'ouest (appelons ce nouveau jeu le point-and-go). Une fois arrivé là-bas, tels mes aïeux explorateurs traversant l'Oural, je cherche un point surélevé afin de reconnaître la zone ; ça sera un bâtiment HDB de 12 étages proche de la station de métro. HDB c'est un peu comme HLM, sauf qu'il faut être citoyen Singapourien pour y avoir accès, et que c'est un achat à prix réduit au lieu d'une location subventionnée comme en France. L'avantage de ce système c'est que personne ne casse rien puisque tout le monde est propriétaire ; et effectivement, dans les rues pas de tags, pas d'équipements cassés ou qui ne marchent pas, et par dessus le marché, pas de groupes d'encapuchonnés qui zonent énergiquement le long des allées.

La vue est très belle (vive les villes), et l'ambiance dans les escaliers est particulière ; l'immeuble est ouvert des deux côtés, sans fenêtres vu le climat, l'architecture est un peu biscornue, comme si l'immeuble était plissé dans le sens de la longueur, avec des escaliers saillants du corps du bâtiment comme des tibias d'un type trop maigre, des canapés sur les paliers, des chaussures à côté des canapés, de l'encens, des portes d'appartement ouvertes laissant s'échapper du chinois (paroles/musique/dispute). Une fois en bas, je fais un tour dans le quartier, d'où se dégage une grande tranquilité et une grande harmonie. Entre les préaus des immeubles (ici, le rez-de-chaussée est ouvert de tous les côtés aussi, avec des bancs et des tables qui ont parfois des échiquiers dessus), les couleurs des jeux pour enfants égayent la promenade, tandis que je croise des sortes de gymnases à ciel ouvert, où des mères de famille s'entraînent au maniement du naginata. À côté des jeux pour enfants, des appareils rudimentaires de musculation pour adultes permettent à chacun (mais en réalité, surtout aux vieux), de faire un peu d'exercice. D'ailleurs, dans mon quartier, en dehors des vieux, il y a aussi votre serviteur qui fait ses tractions en chemisette en rentrant du boulot. Un autre gymnase, et voici des enfants qui s'entraînent au karaté sous le regard sévère du maître, tandis que des ados font une partie de basket juste à côté d'eux. Le tout environné par des commerces ouverts et accueillants, une école à l'air sympa qui se prépare pour la visite de la ministre (c'est un petit pays :), un oiseau gros comme un poulet qui se balade au milieu de l'allée, et une racine d'un arbre bizarre qui court sur 20 mètres sur le bord d'une colline. Bref, même si les rues sont un peu plus sales et moins droites que chez nous, c'est globalement plus sympa.

Je poursuis mon exploration du côté du lac lui-même ; je croise un panneau avec un gros sourire qui déconseille de nager dans le canal à cause du danger qu'un orage équatorial ferait courir, marche le long du canal, croise un panneau "Have a nice day", me balade dans une rue avec des maisons hétérogènes (oui, c'est rare, aussi bien les maisons que les quartiers hétérogènes), puis repasse dans un bloc HDB. C'est alors que je tombe sur un bâtiment haut comme trois hommes, environné de grillages à barbelés, avec des barreaux aux fenêtres et une cour oblongue. Quand je passe plus près, je vois des enfants jouer au foot sur un des murs. Et quand je passe devant l'entrée principale, je vois un panneau "Primary school, where potential is maximised". Asia style. Après avoir passé une nationale en marmonnant un "fucking highways", je peux marcher le long du lac qui a donné son nom à la station de métro. La vue est particulièrement belle, un mélange de nature, de ville et de nuit comme je les adore ; une couronne inégale d'arbres doublée de pénombre cerne le lac qui se dresse devant moi, sertie à ma droite et ma gauche de tronçons de voies lumineuses et mouvantes du métro aérien, et face à moi de hauts immeubles au garde-à-vous, arborant leurs facettes colorées et brillantes, avec juste ce qu'il faut d'assymétrie : ici un immeuble isolé qui dépasse derrière les arbres, là un ponton de bois sur le lac, et même ici et là une branche basse qui m'empêche de prendre une belle photo. Bonne balade quand même. Et comme avec tout lac digne de ce nom, les amoureux, cyclistes et joggers (voire les trois en même temps) se croisent et s'entrecroisent su ses rives.

Côté nouveautés, j'ai l'occasion de faire mon français et d'aller hurler sur un commerçant ; ma cible est le petit boute-en-train qui devait me débloquer moon portable et a finalement effacé toute la mémoire et rendu l'appareil inutilisable. J'ai l'occasion d'apprécier la technique de négociation chinoise la plus célèbre ; la temporisation. Après que je lui aie crié dessus pendant quelques minutes, fait fuir deux-trois clients, le type me promet de me faire un prix une fois qu'il aura placé tous ses portables sur son étal (un simple comptoir-vitrine installé dans la rue), et effectivement me fait un 40% - je connaissais le prix de base de ce portable-là. Mais comme on ne peut pas entuber un chinois, en tous cas pas du premier coup, le port pour le chargeur s'est vite mis à déconner. Et il s'est mis à déconner non pas un mois, ni une semaine, mais 24 heures après que j'aie acheté le truc. Saloperie (le vendeur, pas le portable).

Visions exotiques : une chinoise pas épilée dans le métro.

Ensuite, week-end, sortie dans un bar bizarre avec Yousoun et Utkur (mon coloc et une collègue à lui, la femme du type qui a enlevé son pantalon, et j'écris son nom n'importe comment). Nous voilà à Holland village, le quartier où les expats habitent. J'ai la joie de manger des ailes de poulet Tex-Mex bien grasses totalement dégueulasses, et ça fait du bien. Ensuite, direction un bar où je goûte de l'absinthe - à 7.5E le shot, et j'en ai pas bu qu'un. Là, pour le coup, "Alcohol is very expensive" : je vais claquer genre 70 euros au total pendant la soirée. Après avoir écouté un groupe de rock chinois chanter du pop-rock occidental avec l'accent, on finit sur robertson quay, le coin où les autochtones sortent le soir. On y fréquente un bar effrayant où des Indiens moustachus s'asseoient autour d'une petite piste de danse, pour y mater des nanas qui viennent s'y déhancher contre rémunération. C'est assez triste de voir le regard de ces types visiblement un peu trop timides, et d'autant plus bizarre qu'il n'est même pas question de nudité/prostitution. Bref, bar suivant, le grand classique des soirées asiatiques : le karaoké. Apparemment il n'est pas rare que les gens prennent des cours de karaoké en prévision de leur sortie du week-end. Comme nous autres occidentaux on s'en fout, Yousoun me fait attraper le micro et me programme Beautiful Day. À 4h du mat, bourré, ma propre voix m'a fait peur. Vers 5h, diner ptit déj dans un food court, où je gagne le grade de "health freak" après une conversation sur la clope (merci la médecine !).

En bref et sans transitions :
- côté travail, pas de contaminations et fini les heures de glande, enfin !
- j'ai décidé de faire un truc d'Asiatiques, et ai essayé le Ninjutsu (mais on s'y fait un peu chier, comme dans tous les cours d'arts martiaux, et en plus y'a que des Blancs)
- je suis en train de finir les food courts. D'avoir tout goûté, j'entends.

Point and go : Bukit Gombak, à l'ouest de la ville. On y trouve un lac naturel, surmonté par une falaise, le tout recouvert de jungle, ce qui est vraiment sympa au milieu de la ville : quand on prend une photo, inutile d'essayer de rater l'immeuble de 25 étages juste derrière la falaise. J'ai même l'occasion de faire quelques mètres au milieu des énormes bambous et du sous bois qui m'arrive aux genoux. Autre point and go : Dover, le quartier des riches, calme et riche comme les équivalents de chez nous. Globalement, Singapour n'est pas faite pour les piétons : des autoroutes partout ("fucking highways" est presque devenue mon expression fétiche), des enchevêtrements labyrinthiques, pas de passages piétons, des travaux tous les 15 mètres...

Mais en ce moment, je suis en mode proactif ; je veux changer de maison (je viens d'écraser mon 3e cafard de 4cm de long dans la cuisine), trouver un meilleur sport, me faire plus d'amis (les jeunes que j'ai au labo sont un peu des parisiens en moins drole), donc pas le temps de blogger. À plus.

P.S : le kékidi a l'air de s'arranger un peu.

samedi 16 janvier 2010

"Mwarf..."

Article express, juste pour donner des nouvelles. La semaine suivante était chiante. J'ai perdu mon composite et visité le système de santé mercantile local, internet a recommencé à me faire chier, au labo j'ai commencé à parler avec des gens de mon âge et j'ai eu une contamination dans mes cultures qui m'a fait perdre deux semaines de boulot, on est encore allés à Clarke Quay avec le coloc mais c'était relou, et j'ai décidé de changer de maison - ce qui va pas être facile avec l'internet intermittent. Prochain épisode bientôt.

jeudi 14 janvier 2010

"Alcohol is really expensive in Singapore."

Au fil de la semaine, en me perdant dans mon quartier, je tombe sur le Leader Price local, appelé Fairprice... y'a comme un vague air de famille dans le nom, c'est drôle ça. On y diffuse à toute heure une petite musique chinoise kitsch à mourir de rire (à chaque fois que je suis là-bas, j'ai la banane du début à la fin). La musique et les prix aidant, j'achète moult et moult choses très saines pour mon corps à l'intérieur naturel, et notamment du lait. À Singapour il n'y a pas de vaches, pas de moutons, pas de chèvre, et, même si on y travaille, pas encore de mamelles artificielles à base de cellules souches. Et donc, pour y obtenir du lait ou de la viande rouge, il faut la faire venir des pays voisins. Le seul pays voisin étant la Malaisie où y'en a pas non plus, il faut la faire venir des pays pas voisins, en particulier l'Australie. Et comme c'est loin, on importe en fait du lait en poudre qu'on reconstitue (comme les jus de fruits de chez nous), et qui a un goût surprenant, concentré, comme s'il était reconstitué avec moins d'eau. Chocolaté, on a l'impression de boire de la Danette. Une partie de moi (moustachue, et qui fait environ 5% aux présidentielles) aurait adoré dire que c'est dégueulasse, mais en fait c'est plutôt pas mal.

Même les trucs de Blancs que sont le pain de mie et le lait (en dehors du fait qu'il soit reconstitué) ont une petite Sing touch, ils sont supplémentés en calcium et en vitamines. Et pas qu'un peu, on dirait que c'est fait pour les bodybuilders : sans doute pour empêcher tous ces Chinois d'être des nabots, ah ah... ah merde ça marche, ils sont tous plus grands que moi dans le métro. Mais comme je suis là avant tout pour essayer des trucs, je me gave aussi de fruits exotiques ; carambole (bien meilleure que chez nous), poire chinoise, pitaya, fruit de la passion, mangoustan (succulentissime), ananas... (je n'ai pas encore essayé le durian qui pue ni le grand ramboutan). En plus ça m'aide à manger un peu correctement, parce que le chicken rice c'est sympa et pas cher mais pas très nourrissant.

Encore une fois, je remarque une autre similarité, à savoir que l'entité socio-économique "Etranger du coin" (comme dans "On va acheter de la vodka chez l'Arabe du coin") existe aussi à Singapore - toutefois, il y a une subtilité ! Ici, c'est le Chinois du coin (vous aviez pas deviné...). En fait, il y a tellement de Chinois qu'ils sont à la fois les autochtones et les étrangers. D'ailleurs, la distinction étranger/local ne veut pas dire grand chose... sauf si on joue au kékidi. Au kékidi, il n'y a que ce que l'étranger dit qui ne veut pas dire grand chose. Mais bref, ici aussi le Chinois du coin est ouvert tout le temps et vend tout deux fois plus cher.

Les enfants, si vous vous demandez si vous allez faire de la biologie plus tard, sachez que c'est avant tout pas d'argent, pas de travail, et plein de meufs. Choisissez votre camp. Donc, après une première semaine de stage passée à travailler mais pas trop, il faut que je me détende ! Vendredi soir, je rentre un peu fatigué (j'ai du me lever à 6h pour aller chercher mon visa avant d'aller bosser), me gave de fruits, puis repars dans l'autre sens vers la ville et ses lumières. C'est l'heure de récolter quelques informations, je vais donc droit à la cellule locale du renseignement français, j'ai nommé la crêperie bretonne ! Après avoir commandé une crêpe forestière et un verre de cidre qui coûtent autant que trois jours de food court (matin midi et soir), je me mets à deviser avec le patron, sur fond de musique kitsch franchouillarde des années 80. Retraité, il apprécie la vie ici, où tout est plus dynamique et moins lourdingue qu'en France ; j'apprends même qu'il a une maladie génétique et que l'hosto français le fait raquer 10 fois plus qu'ici. Bien entendu, grâce à la Sécu, il paie rien ni ici ni en France, mais il trouve quand même moyen de râler... sacrés Français ! Au rayon visites, on me suggère l'île de Sentosa (un nom que j'entends souvent, truc pour touristes), la nocturne du zoo, et Clarke Quay, le rendez-vous branchouille à Singapour. J'ai peut-être un peu trop mangé avant la crêpe, et j'ai du mal à finir - je rentre chez moi en me tenant le bide.

Samedi, réveillé par le chant exotique d'une perceuse à percussion, je file visiter la ville/acheter des trucs. Repérage à Clarke Quay ; on dirait un village Disneyland avec des bars partout. C'est plutôt surprenant. Le quartier est franchement orienté vers le secteur économique touriste/expat/pigeon. Par exemple, l'un des quais est plein de restaurants tous pareils, avec des serveurs serviles qui racolent mielleusement, et les prix sont triplés par rapport à la rue parallèle juste derrière. Les rues proprettes avec des commerces s'intercalent comme génoise et crème avec les rues étroites et sales, où on sort les poubelles et où les climatiseurs viennent respirer.

Comme il fait frais, j'en profite pour me laisser guider par mes pieds, et ceux-ci me mènent à Chinatown, dont l'étrangeté et l'animation tiendraient assez mal dans des mots français et immobiles. J'achète deux trois choses à prix défiant toute concurrence (4 chemises pour 30€, des mangues séchées et des mangoustans moitié moins cher qu'au Fairprice), j'en oublie même de négocier tellement ça coûte rien. Il faudra que j'aille jouer la revanche.

Je marche un moment parmi les gratte-ciels, dans l'ombre de leurs voisins à leur base, et rutilants à leur sommet, et je finis à l'extrême est de la ville, au niveau de la Marina Bay. J'ai envie de voir l'océan, et je marche droit vers lui, cerné par les chantiers. Une autoroute finit par me barrer la route, et les échangeurs bouchent un peu la vue. Oui, mais... mais au milieu des gouffres pleins de poutres de fer anguleuses et rougeâtres, qui porteront bientôt des gratte ciels, des grues du port, qui s'élèvent chargées de conteneurs à l'assaut des cieux, des échangeurs qui s'élancent le souffle court dans la ville, de la lenteur cahotante des camions de chantiers, de la rumeur des voies rapides, de la fureur des marteaux qui rebondit entre les tours impassibles, sous le parfum de la mer et de la poussière, et avec l'impression de tomber dans le ciel chaque fois que je lève les yeux, je grave un souvenir serein, vibrant et puissant de Singapour. Cette cité, immense, m'évoque ces arbres qui poussent au milieu du béton ; immobile à première vue et infiniment vivante en réalité, calme et forte comme peu de choses humaines le sont. La poésie des villes... si elles étaient moins intimidantes, sans doute y aurait-il moins d'écologistes :)

Assez content d'être allé me perdre près de l'eau, je rentre, un peu aplati par le soleil. Je trouve mon coloc en train de faire sa fête à une bouteille de whisky (il en a fini 80%) ; en ex-URSS, on ne craint pas l'alcool et on lui fait savoir. On cause un peu, et j'apprends qu'il a été invité à une barbecue party (fête posée dans le jardin) avec ses collègues mais qu'il a la flemme d'y aller. Je le motive un peu, et nous voilà partis. On rencontre plein d'expats (espagnols, sudaméricains, britanniques et australiens), je comprends ce qu'ils disent et on parle de trucs d'expats, comme de l'impossibilité de trouver de la viande à Singapour, de l'alcool qui coûte cher ici, des douanes, du kékidi, de la météo locale, et des endroits qu'on a déjà visités. Je dois admettre que je suis un petit padawan par rapport à eux (ils ont la trentaine), tant au niveau des voyages que des pépettes qu'il faut pour en faire. On finit par aller à Clarke Quay se trouver un bar, où je ne paye pas mon verre parce que personne me le demande (sachant qu'en plus qu'on m'a arrosé de vin dès que j'ai dit que j'étais français, j'ai bu à l'oeil toute la soirée).

La musique assez forte nous suggère d'aller en boîte, où on a la mauvaise surprise de se faire jeter à l'entrée parce que l'un de nous est en shorts/tongs (bizarre, il n'y a que moi que ça ne surprend pas). C'est là que beurré et chaud comme la braise, Jorge met en place un plan infaillible ; il va entrer, enlever son pantalon dans les chiottes, le donner à une des nanas qui le ramènera dehors, et comme ça on pourra entrer. Le plan commence, les tambours et les ricanements roulent, et quelques instants plus tard le pantalon arrive. Il est trop petit ; j'enlève le mien, le donne, enfile celui de Jorge en évitant de le craquer, marche doucement vers l'entrée... pour voir Jorge ressortir avec un paréo... il s'est fait virer des chiottes. Bon, on aura bien rigolé au moins. Mon coloc veut rentrer, comme il a payé le taxi à l'aller je rentre avec lui (j'aurais sans doute pas dû). Bilan : finir bourré sans pantalon sur les quais : fait. Me la coller gratos : fait. Pas trop mal.

jeudi 7 janvier 2010

"Téwé ?"

Bon, j'en étais où déjà... je venais de sortir du bureau du "Ministry of Manpower" (autrement dit ministere des immigrés :). Donc, après avoir bu le café du vendeur, je descends dans un centre commercial m'acheter à manger ; chez le vendeur de bouffe du coin (celui avec la plus sale trogne, sinon c'est pas du jeu), je prends un Laksa. Je sais pas ce que c'est et c'est bien pour ca que je le prends ; en plus ça sonne comme "laxatif", quoi de mieux ? Après avoir eu un petit épisode de kékidi avec la vendeuse, je repars donc avec mon Laksa et mon thé noir chaud - le kékidi s'est mal fini, j'avais demandé un "iced tea" et pas compris la question qu'elle m'avait posé ensuite, donc répondu oui. Je ne mange pas dans le métro, parce que c'est énervant pour les autres voyageurs. C'est vrai quoi. Et aussi un petit peu parce que y'a écrit "No eating or drinking, Fine 500$" sur les affiches. Les affiches sont énormes (au sens figuré), toujours à base de civisme et de respect mutuel, c'est assez dépaysant.

Ni une ni deux, me voilà au Buona Vista MRT (je commence à apprendre les stations de métro par coeur, pour cartonner au petit bac), et je vais manger dans un parc proche de l'immeuble du Genome Institute. Etonnant ce quartier, il est plein de chercheurs et les bâtiments s'appellent tous genre "Proteus", "Matrix" (j'invente rien) ou encore "Genome". Tout y est tout beau tout propre, et a ce je-ne-sais-quoi qui fait penser à la tour Eiffel de Las Vegas, ou à la tour Montparnasse à Paris. Pour ce qui est de mon déjeuner, le Laksa aurait du s'appeler le Vomi, mais bon, y'a que quand on joue pas qu'on perd pas ; et justement, le thé est très bon, il aurait même été divin s'il n'avait été à la même température que mes aisselles. Par dessus tout ça, je me fais aussi un peu saucer pendant que je mange – penser à acheter un parapluie. Et c'est donc rassasié et (un peu) rafraîchi que je peux rentrer tel Richard Coeur de Lion dans les bureaux des ressources humaines du GIS, brandir mes papiers tamponnés à la face du monde et les employer à pourfendre mon interlocutrice de haut en bas comme l'infidèle qu'elle est.

Et c'est parti pour une après-midi à prendre ses marques au labo. Rien de spécial, à part un petit instant de frayeur, quand je vois une feuille de présence d'une chercheuse, à 45 heures par semaines. Techniquement, subséquemment, nonobstant, usufruit, susmentionné et ci-après... les premiers jours, la base stratégique sera d'arriver avant le patron et de partir après lui. Outre le travail et les arrivées avant le patron, je commence à parler avec des gens, comme Lili, une chercheuse chinoise, arrivée ici il y a trois ans avec fils, mari et beaux-parents, qui fait tranquillement son nid, Jameelah qui n'aime pas parler d'elle, Irène la française (ça fait du bien de gagner le kékidi des fois). Au premier abord, on a l'air plus similaires que les années et les distances qui ont séparé et nous séparent le laisseraient supposer. On verra bien.

Le grand problème de la semaine est de faire remarcher Internet, qui s'est mis à planter nul ne sait comment, pourquoi, ni même exactement quand. C'est notamment à cette occasion que j'ai pu passer une soirée à prendre le métro jusqu'en ville, m'enfermer une soirée dans un internet café, pour dormir pendant le téléchargement d'un CD Linux (et jouer à Canabalt), totalement inutile puisqu'il ne résout pas mon problème, m'alléger de quelques piécettes, pour finalement voir le problème en question disparaître tout seul après m'avoir fait perdre quelques pépettes. Bref, comme la phrase précédente, l'histoire laisse un arrière-goût de gros gond mal graissé.

J'ai l'occasion de découvrir les food courts, des cantines présentes pratiquement à chaque coin de rue. On y trouve plusieurs stands, chacun proposant un type de cuisine ; indienne, chinoise, indonésienne, japonaise, occidentale ou chicken rice (y'a marqué ça, moi je retranscris) ; et comme tout à Singapour, ils existent en version plus ou moins propre. Vers chez moi, on trouve bien entendu des versions sales, où les gens sont un peu surpris de voir un occidental. Comme j'arrive en général tard, les tenanciers sont soit sur les nerfs, soit détendus, et dans tous les cas n'ont pas beaucoup de travail (la moitié des stands sont fermés) ; du coup, soit ils me prennent pour un Syrien, et les sourires et les discussions s'engagent (l'avantage d'être brun et barbu, outre que c'est plus beau, c'est que les musulmans vous prennent pour un musulman), soit ils mettent fin au kékidi en me criant dessus « CHICKEN RICE !». Les discussions sont vite limitées par l'invincible kékidi, vu que plus on est dans une zone pauvre, moins l'anglais est normal ; c'est là que j'apprends que "Téwé" veut dire "Take away", et que je commence à avoir une espèce d'appréhension quand je dois parler à un vendeur de mon quartier.

Malgré cela, ou peut-être grâce à cela aussi, je me retrouve parfois dans des tableaux qui seront difficiles à oublier, comme cette immense femme (indonésienne ?) aux airs de Bouddha voilé, dureté et douceur mêlés, qui se dresse dans l'éclairage Rembrandt à une tête et trente kilos de plus que moi, surveille les mendiants avec un air sévère, et me crie gentiment dessus « CHICKEN RICE ! », tandis que derrière elle, dans la petite cuisine, un type d' 1m60 en nage, tout maigre, fait danser sa machette à travers chairs et os de poulet ; quelques images plus tard, la femme me donne finalement mon repas que je paie 1€25 ; et finalement, chatouillé par ma faim, caressé par les odeurs de cuisine et de nuit, et observé par les constellations étrangères et les vieux qui empilent les cannettes vides, je retourne dans la rue sombre et tranquille, j'essaie de deviner leurs vies, et je me dis que j'ai bien fait de venir.

(À suivre ; premier week-end à Singapour)